Dialogue amphibologique d’une retraitée avec son téléphone portable

  • Zut, où est mon tél ? …Tant pis, je l’appelle.

Quand je l’ai connue, elle militait contre mes ondes. Du fond de son sac, je résonne d’un You say you want a revolution-on…de 1968. C’est vous dire ! Ha ! Elle m’a repéré !

  • Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre* 

 D’ac-cord ! Aujourd’hui, elle me la fait Aragon 1956… J’ai peur…

  • Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant 

Tkt ! Y a toujours un prince quelque part, même en charentaises.

  • Que cette heure arrêtée au cadran de la montre

Surtout la tienne, une mécanique de 1970,., Jet lag assuré. 

  • Que serais-je sans toi que ce balbutiement 

Pfff ! J’me souviens. Des heures à te ressasser mon fonctionnement 

  • J’ai tout appris de toi sur les choses humaines 

Quel boulot j’ai eu ! Choix de l’opérateur, forfaits, options… 

  • Et j’ai vu désormais le monde à ta façon 

 Selfie et son stick, chat, vidéos, twitter, textoter

  • J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines 

J’préfère pas parler des applications à installer… j’en dormais plus.

  • Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines 

Bon Facebook, WhatsApp, ça va encore

  • Comme au passant qui chante on reprend sa chanson 

C’est sûr, l’air de ma sonnerie ça surprend du monde

  • J’ai tout appris de toi jusqu’au sens du frisson 

Euh… Tu me parles du vibreur là ?

  • J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne 

C’était long, long, c’était long, long, long …mais long

  • Qu’il fait jour à midi qu’un ciel peut être bleu

J’avais oublié mon calvaire pour la fonction lampe-torche.

  • Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne 

Tu m’allumais n’importe où pour faire signe à n’importe qui.

  • Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne 

Ouais, j’ai du mérite… t’étais un vrai cassosse                      

  • Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux 

Un plus un

  • Tu m’as pris par la main comme un amant heureux 

En même temps, j’travaille pour mon opérateur. Il habite en face  

  • Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes

Mon image de fond d’écran, les tiens on dirait ceux d’Elsa…

  • N’est-ce pas un sanglot de la déconvenue 

 Ben oui, pense à ma batterie… 

  • Une corde brisée aux doigts du guitariste 

 You say you want a revolution-on… Tiens ! C’est mon opérateur qui t’appelle.

  • Et pourtant je vous dis que le bonheur existe 

Que ferais-je sans toi ? déclare-t-il

  • Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les rues 

Je viens à ta rencontre 

  • Terre Terre voici ses rades inconnues.

Love, love, love, qu’il lui répond.

J’le crois pas ! Et pendant qu’ils se bécotent, je gis au fond de son sac à gérer ses appels. Elle m’a bien eu avec son obsolétisme militant…

Allo ! t‘es où ? 

                                    

                     Françoise Moreaux

*(D’après le poème de Louis Aragon (1897-1942) : « Le roman inachevé » extrait de « La prose du bonheur et d’Elsa »)

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